Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
AFRICHEVALIER
28 avril 2020

DOSSIER-BENIN Education : Quand l’overdose de la délinquance défie la morale et interpelle la conscience collective

El_ves_coll_ge_JPEG

DOSSIER-BENIN Education : Quand l’overdose de la délinquance défie la morale et interpelle la conscience collective

 (Première partie)

L’année scolaire 2019-2020 en cours au Bénin se révèle sous un jour amoral déstabilisant. Et pour cause, les proportions désobligeantes que prend la délinquance en milieu scolaire notamment dans les établissements du cycle secondaire tous secteurs confondus mais aussi universitaire.

 

Depuis quelques semaines, une sordide histoire de sexe, tabagisme, stupéfiants et violence projettent au-devant de l’actualité, deux collèges privés de Cotonou, un lycée du septentrion et une université privée à Cotonou. Des réactions des plus mesurées aux plus incendiaires ont lieu. Les uns et les autres ont, chacun, essayé de situer les responsabilités sans toutefois être parvenus à le faire correctement.

Comment comprendre ce qui s'est passé exactement et le placer dans le contexte sociétal qui est le nôtre aujourd'hui? Les enfants par qui le crime est arrivé, sont-ils coupables désignés ou victimes de tout un système? Tout le monde s'en mêle tant au plan des administrations scolaires éclaboussées, des parents, de la société et du gouvernement. Mais finalement, qui est le vrai responsable ? Devrait-on faire de la fixation sur ces mioches à cause des tares de la société en pleine mutation et qui voient la technologie hyper développée de l'information et de la communication rivaliser avec les parents,sur la société s'agissant de l'éducation des enfants façonnés dans les nouveaux repères éducationnels déstructurés par un ensemble de stéréotypes inadaptés aux sociétés noires africaines?                 

Un regard dans le passé et nous comprendrons que le nouveau mode de vie « the new way of life in the world » mis en place avec la rage des Tics, nous  révèlent notre échec collectif. Echec dû à notre incapacité à ne pas pouvoir transmettre aux enfants, espoirs de demain, l'éducation de base que nous avions reçue et qui était basée sur la différence entre ce qu'il faut faire et ne pas faire, les comportements à avoir et à ne pas avoir, savoir parler, différencier entre ce qui est défendu, interdit ou ne l’est pas etc.                   

Les africains n'ont pas su, s'affranchir de cette école importée et savamment entretenue parce que, les colons d'hier veulent toujours nous maintenir dans la servitude culturelle et sociétale. Ils tiennent toujours à notre assimilation à leurs valeurs civilisationnelles. Ils auront réussi, à l'ère des Tics, à nous enfoncer davantage dans des repères totalement étrangers et inadaptés à ceux éducationnels et « instructionnels » dans lesquels grands-parents et parents d'aujourd'hui ont été moulés.

 

Vidéos d’obscénités portant sur le sexe et le tabac tournées dans certains établissements du cycle secondaire et diffusées sur les réseaux sociaux. Actes sexuels, alcoolisme et tabagisme. Voilà les graves déviances qui polluent des établissements du cycle secondaire mais aussi universitaire, entachent et éclaboussent leur crédibilité. Déjà, l’anathème est jeté sur les administrations desdits établissements mis en cause. Le fait qui défraie la chronique soulève l’émoi, est la question d’éthique et de morale éducationnelle en milieu scolaire. Mais au-delà de l’indexation des auteurs, fusent les accusations mettant en cause la responsabilité parentale dans l’éducation des enfants. Mais à y regarder de près, le vrai diagnostic est-il posé ?Les élèves projetés devant les actualités sont-ils des fautifs ou des victimes ? Entre les enfants, les parents, la société, les administrations des établissements et leurs enseignants, les gouvernants et la mondialisation, qui est le vrai coupable ? Toujours est-il que, les ministres Eléonore Ladékan Yayi de l’Enseignement supérieur, Mahougnon Kakpo de l’enseignement secondaire, technique et professionnel et la ministre de la Famille ont auditionné les directeurs des établissements mis en cause suite à la diffusion des vidéos sur les réseaux sociaux.   

 

Les faits récriminés

On se rappelle qu’il y a quelques semaines, les cas décriés de deux instituteurs. L’un ayant abusé sexuellement d’une écolière en classe de CM1 à Tanguiéta, et l’autre qui se fait sucer son sexe par ses apprenants dans une classe de CP2 dans la commune d’Abomey-Calavi. Toujours dans la commune d’Abomey-Calavi, une autre affaire de sexe met en cause un enseignant d’une EPP de Dèkoungbé qui aurait engrossé une de ses écolières, âgée de 14 ans. Et ce ne sont que les cas qui auraient été portés à la connaissance de l’opinion nationale. D’autres cas ayant été étouffés suite à des menaces, des règlements à l’amiable, etc. 

On croyait que cette vague de dénonciation de ces immoralités en milieu scolaire allait servir de leçon. Mais au contraire ! C’est comme si, ces trois cas connus ont donné le coup d’envoi de la déraison au secondaire et dans une université privée où des élèves et étudiants ont pris le relais. Allant jusqu’à réaliser des vidéos à caractère pornographique dans des collèges et de tabagisme au niveau de l’université en question.

Au compte des vidéos porno made in collège : le Cours secondaire protestant (CSP) Gbéto de Cotonou ouvre le bal que va clôturer le collège privé Clé de la Réussite qui va battre tous les records. Passons les détails des plus simples au CSP aux plus graves à Clé de la Réussite.

Côté université, c’est la Haute école de commerce et de management (HECM) qui s’illustre par une vidéo portant sur comme le dit le communiqué sorti par la direction : « Depuis ce mardi 31 mars circule sur les réseaux sociaux une vidéo montrant des étudiants de HECM en uniforme avec dans la suite d'autres photos de produits dérivés de tabac. Nous avons vu cette vidéo depuis quelques jours. C'est un assemblage d'images dont la plupart des photos ne sont pas prises à l'école. Néanmoins les 5 étudiants reconnus avec leur uniforme sur ces images ont écopé il y a plus d'une semaine de la plus lourde sanction : l'exclusion définitive. Le conseil de discipline réuni à cet effet leur a appliqué simplement les dispositions prévues au règlement intérieur de l'école ».

 

Autres cas sont ceux des établissements ayant enregistré des déviances mais sans supports filmiques. On peut citer le CEG La Verdure dans la commune d’Abomey-Calavi où, sous l’effet de la drogue, une élève a été violée par sept de ses camarades du même établissement. Ils ont été traduits en conseil de discipline et sanctionnés selon les degrés de leur implication.

Dernier cas officiel en date, celui du Lycée Mathieu Bouké à Parakou avec les débordements du groupe ‘‘City Gang’’ dont huit membres font usage de stupéfiants, d’alcoolisme et pratiquent la sexualité. A en croire le proviseur du Lycée sur Azerkè FM, ‘‘des élèves en classe de 6ème, 5ème et 4ème ont créé un club appelé « City Gang », c'est-à-dire « la cité des bandits ». Ils ont pour habitude de semer la terreur dans l'établissement. Ces élèves se livrent également à des actes sexuels, de vols ainsi que de viols. « Ils viennent au terrain et s'asseyent, ne vont pas au cours et provoquent les gens ». Le surveillant général a été témoin un jour d'une bagarre entre un membre du club et un autre élève. Une sanction a été infligée à l'élève, membre du club. Ce dernier s'en est pris après sa punition à un scout qui l'avait conduit de force chez le surveillant. « Il a alerté son groupe. Ils sont partis fabriquer des lanières avec des fils électriques et ont tabassé le scout »’’. A en croire le proviseur, la recrudescence des déviances en milieu scolaire est due à la démission des parents face à l'éducation des enfants et aux contenus de tout ce qui est publié sur les réseaux sociaux.

 Ainsi se présente la liste des établissements scolaires ayant enregistré différentes formes de déviances portant atteinte à la crédibilité de la morale scolaire et parentale.

 

Analyse critique d’un phénomène social déboussolant

Oui, les enfants ont mal agi. Ils ont poussé le bouchon très loin et dépassé les limites du tolérable à une vitesse supersonique. Aussi désarmant que cela puisse paraître, l’effronterie a été dimensionnée comme outrage fait à l’Etat béninois dans toutes les stratifications politico-administratives, institutionnelles, sociales et parentales. Et la question récurrente qui demeure posée est la suivante : coupables d’une forfaiture actée ou victimes du mal être d’une société en déliquescence morale ?

 

-Origines lointaines d’un mal pernicieux

La question est posée. Mais contrairement aux attaques fondamentalistes dirigées sur les enfants, il convient d’aller au-delà du fait incriminé pour mieux le comprendre afin de trouver la meilleure formule de sa gestion.

Osons le dire : l’éducation rigoureuse d’il y a quelques décennies et plus en avant, étouffante à certains niveaux qu’elle avait pu être a disparu aujourd’hui. En cela, la peur hier ressentie du maître hissé au rang d’une autorité de l’ordre a progressivement disparu. La complicité correctionnelle entre le maître et le père de famille n’est qu’un vieux souvenir raconté aujourd’hui à ces mioches par les parents qui sont passés par-là. L’autorité de l’enseignant n’était pas bafouée. Puisque dans l’esprit de l’élitisme d’hier annonciateur de l’illettrisme de nos jours, l’enseignant était vu comme le dispensateur du savoir et de l’éducation. Aussi, était-il adulé même si, des excès et déviances comportementales et même morales n’ont pas manqué. N’empêche, il était perçu comme un modèle à suivre, à imiter.

Cette école élitiste a survécu au temps avant de commencer par s’effondrer progressivement. Elitiste elle était mais en réalité inadaptée à nos repères culturo-cultuels qui n’ont pas été pris en compte par l’école coloniale dont nous avons hérité  et de laquelle nous avons du mal à nous débarrasser.

Puis advint la génération des parents ne supportant plus les châtiments corporels dans les écoles. N’acceptant pas du tout que « les mains infectes de ces bon à rien d’enseignants, pauvres gens et nécessiteux pitoyables, ne touchent pas les corps dorés de leurs enfants qu’ils adorent plus que tout ». Peu à peu, établissements scolaires tant du secteur public que privé se voient confrontés à une forme d’hégémonisme, d’intimidation et même de corruption des parents aisés. L’autorité des administrations scolaires et celle des enseignants prennent un coup ! 

 

-Entre modernisme et modernité 

Les modèles occidentaux ont toujours pion sur la société béninoise et noire africaine. Naguère inexistant dans le système éducatif et scolaire béninois, l’interdiction des châtiments corporels importée de l’occident a désormais droit de cité. Dorénavant, pour la moindre correction corporelle infligée à un mioche dont les sachants de parents prétendent connaître le droit plus que les professionnels en la matière, c’est l’enseignant ou l’administratif qui peut être châtié par la loi en vigueur. Mal comprise et appliquée, cette interdiction sera source de nombreux dysfonctionnements ouvrant peu à peu les portes qu’il ne fallait pas.

Et du coup, les séquences de comportements irrévérencieux entre apprenants-enseignants, apprenants-administration, parents-enseignants et parents-administration se multiplient. Défendant la même cause mais de manières différentes, la lecture du droit des enfants oppose ces acteurs directs et indirects de l’éducation et scolarisation.

L’école d’hier se voit alors ballottée entre le modernisme et la modernité. D’autant plus que, si on en revient à l’arme du crime, on ne saurait ne pas remettre en cause la mauvaise utilisation de certains outils de la technologie des informations et de la communication.Entre autre les téléphones portables androïdes.

Du fait des leurs activités qui les obligent à être presque tout le temps entre deux avions, des parents n’ont pas hésité à offrir à leurs enfants ces téléphones qu’ils introduisent allègrement dans leurs écoles transgressant ainsi le règlement intérieur les régissant. Ce sont donc les parents d’une manière générale qui offrent à leurs enfants ces téléphones dont certains sont de haut de gamme et aux multiples fonctionnalités mieux maîtrisées par ces mioches que leurs propres parents.

 

-A l’heure de la mondialisation !

Du Dahomey à la République populaire du Bénin, il y avait de rares salles de cinémas et une société de censure nationale avait la charge de sélectionner les films qui pouvaient être projetés une fois passée l’étape de la censure. Avec le modernisme, les anciennes salles de cinéma disparaissent peu à peu et ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes. Et les salons des domiciles devinrent les nouvelles salles de cinémas avec l’avènement des lecteurs de cassettes DVD, CVD. Bonjour les dégâts ! Et va s’accélérant la dégénérescence des valeurs éthiques et morales dans une insouciance grandissante des parents qui, pour ne pas perdre le fil conducteur et toute la scénographie, autorisent et acceptent la présence des enfants qui alors visionnent des scènes d’amour et parties de sexe. Et lorsqu’on peut se rendre compte de leur présence, c’est trop tard ! Ce qui a ainsi commencé petitement va s’accélérer et se vulgariser avec les télénovelas dont parents et enfants, de plus en plus accros en connaissent les heures de passage et se disputent même la télécommande.

A la télé du salon, nombre d’enfants disent merde. Et pour cause, avec l’application YouTube sur leur téléphone portable ou sur leur ordinateur personnel pour ceux qui en sont dotés, il n’y a plus de frontières au respect de ce qui pouvait être interdit. Tous les films passent sans limite d’âge, sans censure aucune. Et vive la liberté via le téléphone portable androïde ou l’ordinateur qu’il soit de bureau ou laptop.

 

-Trop préoccupés

C’est dit et cela se confirme, l’analphabète du 21eme siècle, c’est celui qui ne sait pas manipuler l’ordinateur mais aussi, les téléphones portables androïdes aux multiples fonctionnalités. En cela, les enfants générations TICS dépassent largement les adultes que sont leurs parents. Ils possèdent de solides et confortables connaissances surtout dans la manipulation desdits téléphones.

Trop occupés par le service, les affaires utiles et secondaires qui parfois prennent plus de temps en dehors de la maison, un certain nombre de parents n’ont plus assez de temps pour s’occuper de la gestion éducationnelle de leurs enfants. Enfants dont l’éducation se construit plus entre la maison, la rue et l’école.

 

-Conséquences 

Avec l’inversion des valeurs, il va de soi que l’enfant d’aujourd’hui est un peu plus livré à lui-même que celui d’hier. Peu de parents se soucient de l’étape cruciale de l’âge pubertaire. Très tôt, ces enfants qu’on culpabilise aujourd’hui et qui sont au banc des accusés de la société ne sauraient expliquer ni comprendre exactement ce qu’ils ont fait de si grave pour être traités de la sorte. Ce qui leur paraît banal et normal vu le terreau très favorable offert par la même société qui condamne aujourd’hui ce qu’elle a, elle-même occasionné par le biais la démission collective. Les enfants aujourd’hui sont dans une précocité d’âge qui interpelle. Avec eux d’une manière générale, plus d’interdits. Le fruit défendu est fendu pour grand nombre de ces mioches dans l’âge adolescent. Ils sont devenus pour certaines choses, de jeunes adultes mineurs.

Comment serait-on donc étonné si, ces déviances s’observent ? Il est donc temps que la société en général et le gouvernement en premier, prenne le temps de procéder à un recentrage pour trouver les approches de solutions pouvant permettre l’autonomisation éducationnelle à l’abri des tares importées depuis que les frontières médiatiques ont disparu et que, les pays africains au sud du Sahara sont devenues consommatrices à outrance des modèles inadaptées d’éducation occidentale et étrangère via les feuilletons. Le gouvernement devrait revoir sa copie et il revient au ministère de l’économie numérique de jouer au gendarme si c’est encore possible de restreindre la liberté dont jouissent les enfants en matière de TICS. Là se pose certainement la vraie question. Quelle solution idoine à un vrai défi technologique et informatique ?

Pour finir, les enfants sont-ils victimes ou coupables ? Le cadre scolaire actuel est-il aussi  performant qu’on le croit pour une barrière à un phénomène qui se déroule dans plusieurs pays ? Pourrait-il y avoir une issue locale, nationale, régionale, sous régionale ou continentale quand on voit tous les intérêts en jeu ?

Déplacé sur un autre plan, on pourrait se poser la question de savoir si sans délinquants et divorcés sociaux, la police aurait sa raison d’être ? Si les forfaitures de toutes sortes ne devraient pas se produire, à quoi servirait le magistrat ?

La prévention des crimes cybernautes porte sur quoi au Bénin ? La batterie répressive a-t-elle une face protectrice ?

Quelle réponse donner à cette multitude qui attend de l’école plus qu’elle n’a à donner ?

 

In « Le Nouvel Observateur n° 0867 du vendredi 24 avril 2020 »

Publicité
Publicité
Commentaires
AFRICHEVALIER
Publicité
Archives
Pages
Visiteurs
Depuis la création 92 236
AFRICHEVALIER
Derniers commentaires
Newsletter
4 abonnés
Publicité